Última modificación: 2019-09-13
Resumen
L’exercice professionnel de l’architecture à Montevideo s’est progressivement affirmé en établissant une ligne de démarcation avec les pratiques de l’architecture courante, notamment dans le domaine de l’architecture domestique, où des constructeurs répondaient à la plus forte demande dans le cadre des projets d’extension urbaine. Depuis sa création en 1914, la Société des Architectes de l’Uruguay se donne pour mission de circonscrire la pratique du métier par l’élaboration d’une doctrine officielle: « La Société des Architectes a devant elle la mission de détruire tous les préjugés qui, de longue date, s’accumulent autour de notre profession, elle a devant elle la noble mission de porter le plus loin possible le prestige de notre métier, et d’élever très haut la dignité de notre fonction ». Et de conclure: «Pour comprendre les questions de l’architecture, il faut avant tout être architecte ».[1] On y reconnaît la visée de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris: asseoir l’autorité de l’architecte sur l’ensemble du processus de production de l’oeuvre.
Ainsi, le discours officiel fait état d’un milieu polarisé : d’un côté, l’architecte qui conçoit une pièce unique à partir d’un savoir et d’un statut légitimés par l’Institution, de l’autre, ces « architectes de second ordre »[2] qui produisent, à partir de plans-type, des réponses adaptées aux besoins matériels et symboliques d’un groupe social. Les oeuvres qui en résultent sont bien évidemment de nature différente. Or, si l’on regarde de près les processus de projet qui animent l’une et l’autre démarche, il en ressort une manière analogue de s’approprier et de retravailler des références architecturales d’origines diverses.
Cette contribution a pour objet de révéler l’un des devenirs du système Beaux-Arts dans le contexte de sa migration, à savoir, son appropriation par les milieux savants mais aussi par les pratiques de l’achitecture courante. Je propose, à partir de l’analyse de deux maisons emblématiques de l’architecture savante (la maison que l’architecte Julio Vilamajo, chef d’atelier à la Faculté, construit pour lui-même en 1930) et de l’architecture courante (la maison que les constructeurs et promoteurs Bello et Reborati construisent la même année pour Ramon Bello), de montrer que les démarches projectuelles qui en sont à l’origine mobilisent des modes opératoires analogues.
En effet, si les discours invoqués -académique ou commercial- ne sont pas les mêmes, si la dimension critique est absente dans l’architecture courante, les opérations mises en oeuvre au moment du projet relèvent d’une méthode, que le système Beaux-Arts a appelé, dans le contexte de l’éclectisme, composition : sélection et analyse de références, découpage, transformation, combinaison, articulation, arrangement, assemblage, mise à l’échelle. Dans un cas comme dans l’autre, ces opérations permettront l’hybridation typologique d’exemples -savants et vernaculaires- d’origine espagnole, mais aussi italienne, française, anglaise.
Dans un effort convergeant d’architectes et constructeurs, une pratique s’installe qui, à l’instar de l’enseignement Beaux-Arts, porte le système au delà d’un travail sur la forme, vers une recherche sur les dispositifs spatiaux particulièrement attentive aux usages. Elle contribuera à constituer, dès les premières décennies du XXème siècle, un champ d’action entre-deux qui va façonner le milieu professionnel et le milieu de la commande et aura des incidences durables sur la fabrication de la ville.
[1] Cf. Arquitectura, revue de la Société des Architectes de l’Uruguay, Montevideo, 1914.
[2] L’expression est d’Ignacio Pedralbes, ingénieur et premier recteur de la Faculté de Mathématiques, Cf. Alonso Criado, M., Coleccion legislativa de la Republica Oriental del Uruguay, tomo VII, Montevideo, 1881.